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Raw Blame History

title: L'effondrement, parlons-en... author: Jérémie Cravatte tags: écologie, collapsologie headline: Les limites de la "collapsologie". read_on: Octobre 2019 link: http://www.barricade.be/publications/analyses-etudes/effondrement-parlons-limites-collapsologie

La collapsologie comme science

[…] Cela a pour effet de donner limpression à laudience quelle prend connaissance dune réalité objectivée (et donc méthodologiquement vérifiable) plutôt que dun discours. Cela implique, par exemple, que des raccourcis opérés entre plusieurs phénomènes […] tiendraient de la méthode scientifique plutôt que de linterprétation. Comme le souligne Elisabeth Lagasse , le melting-pot opéré entre sciences naturelles et sciences sociales induit une naturalisation des rapports sociaux qui nest plus discutée. Assumer quil sagit dinterprétations à mettre en débat serait bien plus utile. En lieu et place de cela, les personnes qui critiquent ces interprétations sont régulièrement accusées dêtre dans le « déni ».

Enfin, cette ambiguïté nourrit le sentiment que leffondrement généralisé est une hypothèse, un modèle qui se vérifiera ou non, un événement qui aura lieu ou non. On appelle dailleurs ces discours « théories de leffondrement ». Or, la question nest pas là. La situation écologique et sociale nest pas une hypothèse.

Raccourcis / Confusionnisme

Les discours collapsos amalgament malheureusement sous ce mot valise deffondrement des changements irréversibles quon ne peut, en effet, que tenter de limiter et préparer (comme la destruction de la biodiversité et lemballement climatique) avec des changements totalement réversibles (comme la montée des fascismes, le transhumanisme ou la financiarisation du monde).

« Si la finance seffondre, ça fait des effets de contagion qui font des effondrements économiques. Effondrement financier, cest quand il ny a plus rien dans les guichets automatiques, cest lArgentine en 2001. Si ça se propage à un effondrement économique par les chaînes dapprovisionnement, ben ça fait plus rien dans les magasins. Et là tu te poses des questions, est-ce quon souhaite ça ? Ça peut dégénérer, en chaos social, politique. Leffondrement politique cest lURSS en 1989, tas un retour des mafias etc. Si on va plus loin, leffondrement social cest la Lybie, cest Mad Max quoi, ya plus dÉtat, ya plus rien. Quest-ce quon souhaite, quest-ce quon souhaite pas ? [...] Le problème cest que tout est inter-connecté. Tu souhaites leffondrement du capitalisme ? Mais si il seffondre, il y aura dautres choses qui vont seffondrer parce que tout est lié. » (Pablo Servigne)

Passage qui montre qu'il y a une sorte de confusionnisme dans le discours de Servigne.

La confusion porte sur la notion de « civilisation thermo-industrielle » et sa prétendue fin. Les discours de leffondrement présentent une série de constats angoissants (à raison) puis expliquent (à tort) que cela correspond à « leffondrement de notre civilisation thermo-industrielle ». Cette manière de présenter les choses qui associe une mauvaise et une bonne nouvelle (la fin du monde et la fin de cette « civilisation » destructrice) provoque, au mieux, une confusion entre les deux, au pire, un désir de trouver un peu de répit pour cette « civilisation » à laquelle le public sidentifie.

Dépolitisation

Faire croire que « tout va seffondrer » dun bloc, comme un bâtiment, donner limpression aux personnes quelles nont aucune prise sur la situation présente et à venir, cest alimenter le sentiment dimpuissance, la croyance que nous sommes face à une impasse plutôt que face à une multitude de chemins.

Lapproche fourre-tout de leffondrement dépolitise la question écologique appelant, dans un élan de prétendue « lucidité », à faire le deuil de choses inévitables et de choses évitables. Sagit-il de faire le deuil des services publics tout en continuant à payer des impôts, dun climat tempéré, de la majorité des espèces vivantes, de « nos » proches, de la moitié la plus pauvre ou la plus riche de lhumanité en premier lieu, du « confort » dun système de santé équitable ou à deux vitesses... ? […] il sagit un peu confusément de tout cela à la fois, sans précisions.

Pour reprendre la fameuse métaphore de lincendie, si les Colibris nous appellent à faire notre part individuellement plutôt que le nécessaire collectivement, les récits collapsos nous appellent (individuellement et collectivement) à accepter lincendie et à préparer la renaissance qui y ferait suite. Ce qui brûle dans cet incendie (et, surtout, dans quel ordre), on nen parle pas trop.

Nombre de collapsos parlent de « verrouillages » complexes de la société actuelle (sociaux, techniques et politiques) pour justifier leur posture dacceptation. Cela pour- rait signifier, par exemple, que lutter pour exproprier et socialiser les multinationales de lénergie (afin de les démanteler ou de les reconvertir, selon les cas) constituerait du « marchandage » (la troisième étape du processus de deuil), cest-à-dire une forme de déni de laspect inextricable (verrouillé) de la situation.

Même lorsquon est convaincu·e que les choses sont « verrouillées », il est intellec- tuellement malhonnête en plus dêtre irresponsable dinvisibiliser les interactions, conflits, solidarités, résistances existantes (et à venir) qui modifient la situation et les manières dont les basculements écologiques sont et seront vécus.